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IA générative : le droit d’auteur en question

IA générative : le droit d’auteur en question

Ce qu’il faut retenir

L’utilisation d’outils d’IA générative pose un défi au droit d’auteur : les oeuvres créées grâce à cette technologie sont-elles protégeables par le droit de la propriété intellectuelle ? La question se pose d’une part au sujet de la collecte de contenu par le logiciel d’IA, et d’autre part concernant les contenus générés par l’IA, avec ou sans intervention humaine.*


L’évolution des technologies bouscule les modes de production artistique et donc le droit de la propriété intellectuelle, en France et dans le reste du monde : les oeuvres créées grâce aux technologies innovantes sont-elles protégeables par le droit de la propriété intellectuelle ? Cette question fut posée, en son temps, pour la photographie, le logiciel ou les bases de données par exemple. A chaque fois, la jurisprudence, puis la loi, ont su s’adapter à ces évolutions, quitte à créer des critères de protection spécifiques pour certains types d’oeuvres, tel que les bases de données (droit sui generis).

La même question se pose aujourd’hui avec l’intelligence artificielle.

Le développement fulgurant de l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle générative dans le domaine de la création intellectuelle vient poser de nouveaux défis : d’une part pour le monde de la création littéraire et artistique, qui craint notamment le pillage pur et simple des oeuvres par les systèmes d’IA pour en générer de nouvelles, potentiellement contrefaisantes ; d’autre part pour les utilisateurs des outils d’IA générative qui doivent connaître leurs droits sur les contenus créés par ou grâce aux systèmes d’IA.

Or, la finalité de notre droit d’auteur “classique” est de protéger les oeuvres de l’esprit afin de motiver la création intellectuelle et artistique, et permettre aux auteurs d’exploiter et de distribuer leurs oeuvres contre rémunération (droit patrimonial) et de faire respecter le droit au nom et à l’intégrité de l’oeuvre (droit moral).

Si l’article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit que “les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination”, nous sommes aujourd’hui confrontés à des forces opposées : maintenir le principe de protection des auteurs face à la montée en puissance de l’IA, et reconnaître la contribution de l’IA dans le processus de créativité.

Comme la photographie ou le logiciel, l’intelligence artificielle n’a évidemment pas été prise en compte par le droit d’auteur classique. Il devient donc nécessaire de déterminer un cadre juridique permettant d’appréhender ces nouveaux défis.

L’application du droit d’auteur aux créations de l’IA doit être analysée selon deux axes complémentaires : un premier axe amont, concernant la problématique de la collecte du contenu par le logiciel d’IA et un second axe aval, relatif aux contenus générés grâce à l’intelligence artificielle.


1. La collecte du contenu par le logiciel d’IA et le respect des droits des auteurs

Les IA génératives fonctionnent généralement grâce à des algorithmes de “machine learning” (apprentissage automatique). Imitant les réseaux de neurones, ces systèmes s’améliorent au fur et à mesure de l’intégration de contenus venant les enrichir (l’input), puis grâce à l’expérience tirée de leur utilisation. Les contenus collectés automatiquement pour nourrir un système d’IA peuvent cependant être protégés par le droit d’auteur.

La directive “Marché unique numérique” du 17 avril 2019 a créé des exceptions à la protection du droit d’auteur, aux fins notamment de faciliter la diffusion du savoir et de ne pas freiner le développement de l’intelligence artificielle. Ce texte permet notamment la fouille de textes et de données (à savoir le text et data mining) en matière de recherche académique, et pour tous autres usages, y compris donc pour permettre l’apprentissage des systèmes d’IA, sous réserve que ces données soient publiquement accessibles. (1)

Les titulaires de droits disposent toutefois de la possibilité d’indiquer leur refus de voir leurs oeuvres collectées.

La collecte automatisée de données par un logiciel d’IA peut constituer un acte de contrefaçon. La procédure d’opt out prévue par la directive Marché unique numérique, qui suppose que le refus soit lisible par le logiciel de data mining, sera difficile à mettre en oeuvre. Certains exploitants de systèmes d’IA ont pour leur part mis en place des procédures de signalement de contenu contrefaisant ou de demande de retrait de l’oeuvre du système.

En pratique, il sera difficile pour un auteur de poursuivre le producteur de l’IA générative en contrefaçon. Il lui faudra en effet prouver que son oeuvre a été collectée puis exploitée par l’IA, sans son consentement. Or, le propre d’une IA générative est d’intégrer d’immenses volumes de données pour s’entraîner et être capable de générer des contenus très variés en réponse aux prompts des utilisateurs. Il sera le plus souvent très difficile d’identifier la/les source(s) du contenu généré à la demande d’un utilisateur. L’outil conversationnel Chat GPT a ainsi été critiqué pour ne pas citer les sources dans les textes qu’il génère.

Plusieurs actions judiciaires intentées par des ayants droit contre des sociétés d’IA sont en cours, notamment aux Etats-Unis. Par exemple, la banque d’images Getty Images a assigné la société Stability AI en février 2023 devant un tribunal fédéral du Delaware, suivi d’une demande d’injonction devant la High Court britannique en juin 2023. Stability AI est éditrice de Stable Diffusion, un outil permettant de générer des images à partir de textes. La société aurait collecté plusieurs millions d’images appartenant à Getty Images pour entraîner son système d’IA, sans avoir obtenu de licence. (2)


2. Les contenus générés par l’IA sont-ils protégeables par le droit d’auteur ?

Pour rappel, les oeuvres de l’esprit (texte, musique, peinture, photographie, logiciel, …) sont protégées par le droit d’auteur, sous réserve d’être originales. Bien que la notion d’originalité n’ait pas été expressément définie par la loi, la jurisprudence permet d’en déterminer les contours. Une oeuvre est considérée comme originale si elle porte “l’expression ou l’empreinte de la personnalité de son auteur”, si elle revêt “l’expression de la création intellectuelle propre à l’auteur”. (3) L’originalité se constate par les choix opérés par l’auteur, notamment en matière de création.

Pour déterminer si le droit d’auteur s’applique ou non aux contenus générés par un outil d’IA (l’output), il convient de distinguer entre les contenus générés sans intervention humaine et les contenus générés avec intervention humaine.

    a - Les contenus générés sans intervention humaine : l’auteur ne peut être qu’humain

En l’état actuel du droit, seule une personne physique peut être reconnue comme auteur d’une oeuvre. (4) Un robot, même intelligent et autonome, n’a pas de personnalité juridique. Il ne peut donc être auteur de ce qu’il génère.

Ainsi, les contenus générés par un système d’IA, et sans contribution intellectuelle par une personne humaine, ne reflètent pas la “personnalité” de l’auteur. Ces contenus générés grâce aux algorithmes du système, et sans intervention humaine sur les résultats, sont donc jugés comme dénués d’originalité. Ils ne peuvent, en conséquence, bénéficier de la protection par le droit d’auteur. (5)

Le raisonnement est similaire aux Etats-Unis. Par exemple, dans un dossier relatif à la bande dessinée “Zarya of the Dawn”, le Copyright Office américain (USCO) a décidé, en février 2023, que les images de la bande dessinée, créées par l’outil d’IA Midjourney, ne pouvaient être protégées par le droit du copyright, faute de caractère original. (6)

La justice américaine a suivi ce raisonnement. Dans une décision rendue le 18 août 2023 par un tribunal fédéral, les juges ont considéré que la loi américaine sur le copyright n’accorde pas de protection aux oeuvres générées par des outils d’IA, en l’absence de toute implication humaine dans la création de l’oeuvre. Dans cette affaire, un tableau, intitulé “A Recent Entrance to Paradise”, généré par l’outil d’IA développé par la société Imagination Engines, sans intervention humaine, s’était vu refuser la protection par le copyright. (7)

    b - Les contenus générés avec intervention humaine : l’application de la notion d’originalité

En revanche, un contenu généré par un système d’IA, et retravaillé par une personne humaine peut bénéficier de la protection par le droit d’auteur, à condition qu’il puisse être qualifié d’original. Dans ce cas, l’analyse juridique sera réalisée en application du droit d’auteur classique.

En effet, dès que l’on retrouve une démarche de création, même assistée par ordinateur, un apport intellectuel créatif, des choix stylistiques opérés librement par l’auteur, l’empreinte de la personnalité de son auteur, l’oeuvre pourra être qualifiée comme originale et donc, protégée.


    Une proposition de loi “visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur” a été déposée à l’Assemblée nationale le 12 septembre 2023. Ce texte prévoit que la collecte des données par l’IA soit soumise à l’autorisation des auteurs ou des ayants droit, que les droits sur  l’oeuvre générée par une IA appartiennent aux auteurs ou ayants droit des oeuvres ayant permis à l’IA de concevoir l’oeuvre, et pour le respect du droit moral, que les noms des auteurs des oeuvres soient insérés dans le contenu généré.

Il nous paraît cependant trop tôt pour légiférer dans ce domaine. Les enjeux éthiques, économiques et juridiques posés par l’IA dépassent nos frontières. Plusieurs groupes de réflexion travaillent à l’échelle multinationale pour tenter de définir une approche globale. Même s’il n’existe pas encore de jurisprudence dans ce domaine en Europe, le raisonnement juridique évolue et se construit. Enfin, l’Union européenne est entrain de développer un droit européen de l’IA avec plusieurs textes en cours d’adoption (règlement sur l’IA, 2 propositions de directives sur la responsabilité en matière d’IA). Il semble prématuré de voter un texte qui soit inapplicable ou qui devienne rapidement obsolète.

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* Article publié dans Le Journal du Management Juridique n°96 oct-nov 2023

(1) Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (directive “Marché unique numérique” - ou Digital Single Market)

(2) Getty Images (US), inc. v. Stability AI, inc., US District Court for the District of Delaware, Feb. 2, 2023

(3) CJUE, Aff. C-5/08, Infopaq international A/S c. Danske Dagbaldes Forening, 16 juil. 2009

(4) Hormis pour les oeuvres collectives pour lesquelles une personne morale peut être titulaire des droits d’auteur (art. L.113-2 CPI)

(5) La solution retenue au Royaume-Uni est différente. L’art. 9(3) du Copyright, Designs and Patents Act dispose que “Pour une oeuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique générée par ordinateur, l’auteur est réputé être la personne qui a entrepris les arrangements nécessaires à la création de l’oeuvre.”

(6) United States Copyright Office, Zarya of the Dawn (Registration # VAu001480196), Feb. 21, 2023

(7) US District Court for the District of Columbia, Stephen Thaler v. USCO, civil action No22-1564 (BAH)

Bénédicte DELEPORTE
Avocat

Deleporte Wentz Avocat
www.dwavocat.com

Octobre 2023